L’Escalade d’illusions dans la cage d’escaliers de la Maison Kammerzell, Place de la Cathédrale à Strasbourg, peinte par Roland Perret en 1995.
Le restaurant de la célèbre Kammerzell a été peint en 1904 par un peintre extraordinaire, Léo Schnug (1878-1933). Cet illustrateur remarquable, malheureusement alcoolique et devenu fou, est d’après moi, une figure incontournable de l’art alsacien, bien que trop méconnu du grand public. Ça a été un honneur de pouvoir peindre l’escalier attenant à cette salle et en quelque sorte continuer son travail. Bien que Léo Schnug ait travaillé dans le style Moyenâgeux, j’ai préféré évoquer la Renaissance, puisque le bâtiment date du XVIe s.
Le commanditaire et ancien propriétaire des lieux, M. Guy-Pierre Baumann, créateur de la célèbre choucroute aux poissons.
C’est une enfilade de fresques et de trompe-l’oeil sur plusieurs étages le long d’un étroit escalier en colimaçon. Les serveurs bondissaient dans cet escalier dangereux en s’accrochant à la grosse corde qui pendait dans l’axe ! Plus d’une fois, ceux qui prenaient leur service sans savoir que j’étais là ont failli me téléscoper !
j’ai peint tous les murs avec une matière ocre marbrée. J’ai dû la réaliser à la perche, un pinceau fixé au bout d’un très long manche. Puis j’ai travaillé le sous-bassement en bas-reliefs sculptés. Il ya avait des niches, et comme il n’était pas possible de mettre un échafaudage dans cet escalier qui servait au service, les œuvres ont été confortablement peintes en atelier sur des panneaux coupés à la mesure.
Un des atlantes dans une niche. J’ai beaucoup aimé inventer ce personnage. Vous avez vu ? J’ai eu un peu pitié de lui en lui plaçant un coussin à pompons sur la tête.
Ma pièce préférée. Le singe a souvent été représenté à la Renaissance, souvent pour des critiques sociales. Là il peint un des trompe-l’oeil de l’escalier sous le regard d’un grotesque. De la main gauche il tient un bâton de peintre, un repose-poignet, utilisé par les peintres à l’huile. On pose le manchon de toile rembourrée sur une partie sèche de la peinture pour pouvoir poser la main sur le manche pour exécuter un travail précis.
J’ai tellement aimé ce singe auquel je me suis identifié, qu’il est devenu le logo de ma petite entreprise. Eh oui, un peintre en trompe-l’oeil doit être agile comme un singe pour grimper, habile et malicieux pour tromper son monde avec ses illusions…
Un des grotesques du sous-bassement, un bouffon.
Un dragon crachant le feu. Tous ces dessins sont des réalisations uniques.
Un roi déchu.
Visage et rinceaux fleuris.
Un autre, de profil.
En l’an de crise, au lieu de « en l’an de grâce ». Eh oui, les crises se succèdent… Ce panneau a bien fait rire certains hommes d’affaires qui sortaient du restaurant, à ce qu’on m’a dit.
Une autre niche, avec une fontaine au lion. ce sont des oeuvres assez grandes, certaines faisant, de mémoire, deux mètres de haut.
Les enfants de M. Baummann. Il m’a demandé leurs portraits. J’ai cherché comment intégrer un couple moderne dans cet ensemble Renaissance et j’ai eu l’idée de ce faune les sculptant.
Cet atlante est en bas de l’escalier, à c^ôté de la porte de sortie. Je cherchais le meilleur endroit pour apposer fièrement ma signature. Il était logique qu’elle soit gravée dans la pierre. Mais je voulais qu’elle soit vue, n’est-ce pas ? Pas question de la faire trop grande, mais son support, lui, pouvait attirer l’oeil… j’ai donc créé ce personnage juste pour la signature ! Le commanditaire était en déplacement et n’était pas au courant (pas de portables à l’époque). Je l’ai improvisé directement sur le mur et réalisé en une journée et il l’a découverte le lendemain à sa grande surprise à son retour. Le mal était fait et toléré…
Au milieu de la hauteur de l’escalier, il y avait trois, quatre marches qui donnaient sur une porte murée. J’ai continué le soubassement peint, rajouté des marches, le tout caché par une tenture colorée. L’illusion est parfaite je crois et je suis persuadé que plus d’une personne y a cru. D’autant plus que dans cet escalier, on regarde où on met les pieds…
Le faux escalier dans le vrai escalier…
Où voir »l’Escalade d’illusions » ? À la Maison Kammerzell, Place de la Cathédrale de Strasbourg. Même si vous venez pas consommer, vous pouvez demander à voir l’escalier en demandant à l’accueil.